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-> Conservation prévisionniste

 Transmettre le legs d’artisans aux noms oubliés à des générations que nous ne connaîtrons pas est l’œuvre commune à tous les professionnels du patrimoine.

Un demi siècle nous sépare des pratiques « d’entretien » de cet Héritage suivant des règles bien différentes de l’actuelle conservation-restauration. L’affirmation du concept de « conservation préventive » n’a débuté qu’au début des années 1990. Récent, il est né dans les pays anglo-saxons puis s’est étendu, fédérant peu a peu d’autres interventions[1].Il faut ici rappeler le rôle joué en 1992 par l’ARAAFU[2] en organisant un colloque international sur ce thème à l’Unesco en Octobre 1992.Depuis, cette discipline a généré des emplois nouveaux. Dans le domaine de l’expertise des emplois directs ont été créés, fondés sur une formation universitaire de haut niveau[3] qui eux-mêmes ont généré des emplois induits dans les secteurs de la conception-vente des outils adaptés. Dans ce domaine comme dans d’autres en rapport avec la conservation, de nombreux débouchés directs, indirects et induits ont constitué un apport important sur le plan économique[4]. Au delà, elle a conforté un élargissement du réseau des acteurs concourant à la conservation. Aux spécialistes universitaires, se sont ajoutés divers producteurs industriels, informaticiens, biologistes oumédiateurs… dont les interventions conjuguées ont peu à peu justifiés auprès du public les enjeux liés à la conservation préventive. Probablement cette ouverture a-t-elle participé au prolongement de cette dynamique agrégative quand la question de la gestion des sinistres s’est posée.De manière parfois « brutale » lors de « commissions de sécurité », les professionnels du secours se sont érigés en partenaires incontournables, posant la contradiction entre la nécessité d’un stockage dans des matériaux « compatibles », souvent en matières plastiques (polyéthylène, polypropylène…),générateurs de fumées opaques lors d’incendies et la prévention des dommages aux personnes dans les établissements recevant du public. Certaines réponses ont pu être trouvées lors de réunions conduites dans l’esprit du « Bouclier bleu » qui est au patrimoine ce que la Croix-Rouge est aux humains[5]. Au delà, demeurent d’autres interrogations : à quoi peut servir un espace parfaitement climatisé une fois inondé ?La volonté initiale de transmission impose de s’interroger. A l’heure où les guerres se conduisent en ville, où il s’agit non seulement de détruire l’autre mais aussi d’en détruire les racines culturelles, où l’on sait inondables de grands musées même dans des villes capitales, où l’incendie a déjà ravagé des bâtiments prestigieux… la probabilité qu’un bien culturel soit affecté à long terme par un sinistre n’est pas négligeable. Vouloir le transmettre exige que le partenariat initial soit enrichi aux professionnels du secours, de la force publique, du transport, de l’assurance, du journalisme…

On sait aussi qu’un bon nombre de dommages irréparables sont dus à des erreurs, à des négligences ou à un manque de moyens de stockage convenable pour des produits inflammables. Ainsi le mauvais entreposage de produits chimiques peut-il être à l’origine de catastrophes tout comme il pollue l’espace de travail de leurs utilisateurs. Le risque au travail de déclencher des maladies professionnelles, parfois à long terme, et le risque de destruction des œuvres confiées pour restauration à des structures sous-équipées sont les deux faces d’une même monnaie. A « la prévention des sinistres dans les aires de stockage du patrimoine » répond la volonté de pratiquer notre métier en respectant la « santé/sécurité des personnes et de l’environnement ». Ces deux intitulés de colloquesconduits par le LC2R en 2000 et 2013, patronnés dans les deux cas par l’Unesco et par le ministère de la Culture, démontrent que la qualité des conditions de travail des acteurs de la conservationassure une meilleure transmission des œuvres. On regrettera donc le peu de cas fait aux efforts d’équipement de protection (individuels et collectifs) consentis par les conservateurs-restaurateurs par les donneurs d’ordres lors des appels d’offres. La santé/sécurité du travail n’entrant pas dans l’évaluationdes candidats, le choix de beaucoup, dans un contexte économique tendu, se porte prioritairement sur de nouveaux outils de traitement. Ne rapporte-t-on pas que pour certains responsables, le mode de traitement et la qualité de celui-ci prime sur les conditions d’exécution de ce travail ? L’élargissement du cercle des intervenants concourant à la conservation du patrimoinedémontre, qu’à l’instar de la sécurité, celle-ci est l’affaire de tous. Une veille collective des conditions sanitaires d’intervention sur les œuvres est aussi une protection collective des œuvres elles mêmes. Il faut se réjouir de voir que l’Europe au travers du programme « Joconda » ait élargi une réflexion sur la santé/sécurité du travail en conservation-restauration de même que le succès des réunions de 2007 et 2010 sur ce thème[6]. Ces dernières rencontres, d’abord francophones, nous ont préparé à l’organisation du colloque de 2013 « Conservation-restauration et santé/sécurité des personnes et de l’environnement ». 25 pays ont été représentés et des professions aussi variées qu’architectes, conservateurs-restaurateurs, universitaires, vendeurs de produits pour la conservation, responsables de collections, chimistes, médecins, techniciens de prévention… ont pu échanger et permettre une synthèse entre une prévention des risques « intérieurs » et « extérieurs ». Cette prévention conjointe, consciente et volontaire de ces deux groupes de risques indissociables complète les autres formes de conservation (conservation-restauration et conservation préventive) et fait émerger la « conservation prévisionniste ».Les termes ne sont pas neutres et s’inspirent comme pour la conservation préventive du vocabulaire des pompiers. Les officiers « préventionnistes », en amont des sinistres, veillent à en limiter la fréquence et la gravité tandis que les officiers « prévisionnistes » visent à préparer les interventions quand les mesures de prévention ont failli.

En novembre 2016, à Paris, sous l’impulsion du LC2R, dans les locaux de l’Unesco se tiendra donc le premier colloque international dédié à cette discipline nouvelle : « Conservation prévisionniste : étudier, valoriser, conserver les œuvres en protégeant les hommes et l’environnement ». Plusieurs séminaires préparatoires sont déjà prévus sur trois continents destinés à encourager les chercheurs et leurs partenaires à réfléchir à des solutions concrètes à l’ensemble des professionnels du patrimoine (archéologues, conservateurs, physiciens et chimistes du patrimoine, conservateurs-restaurateurs, professionnels de santé, industriels et professionnels du secours…). La conservation prévisionniste vise aussi à casser les différences statutaires, professionnelles, nationales et culturelles pour ne considérer que ce qui est commun.

De ce fait, sa portée est universelle.

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[1] Un marqueur de cette évolution est observable dans les actes des comités pour la conservation de l’ICOM où sont rassemblés sous la dénomination « conservation préventive », dès ……… , des groupes de travail comme « contrôle du climat », « infestations », « éclairage »…. 

[2] Association des Restaurateurs en Art et Archéologie de Formation Universitaire

[3] En France un DESS, devenu Master a été consacré à cette discipline à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

[4] Travail d’H. Passamar

[5]« Stratégie de stockage et prévention des incendies » (téléchargeable gratuitement) et « Prévention 2000 » (téléchargement payant) sur le site www.art-conservation.fr

[6] La synthèse des travaux de Joconda et les actes des colloques seront prochainement accessibles et téléchargeables sur le site www.art-conservation.fr

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